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9 décembre 2014

Meursault, contre-enquête, Kamel Daoud

Meursault, contre-enquête, Kamel Daoud, Actes Sud, 153 p.

Daoud

En 1942, Meursault, un français d'Alger, tue sans motifs apparents de cinq coups de pistolet un Arabe. Il sera condamné à mort pour ce crime. Avant son exécution, Meursault raconte dans un livre comment il en est venu à cet acte et le déroulement de son procès. Le livre deviendra aussi célèbre que le criminel, la victime reste inconnue. Cet Arabe n'a même pas de nom.

Quelques 70 ans plus tard, dans l'un des derniers bars d'Algérie, un vieillard raconte à un étranger qu'il est le frère de Moussa, la victime de cet assassin célèbre. L'histoire est reprise depuis son début, vue sous un autre angle. Haroun, le narrateur et donc frère de Moussa, corrige quelques faits faussement relatés, complète d'autres.

Inévitablement, les références sont nombreuses, mais aussi les parallèles entre les deux histoires. Haroun a lui aussi tué un homme, un roumi (un colon), sans motif propre. Meursault n'était pas croyant (chrétien), Haroun non plus (musulman). Meursault avait une amie du nom de Marie; la seule femme qui compta dans la vie de Haroun (hormis sa mère) s'appelait Meriem.

Les divergences sont tout aussi nombreuses : Meursault ne voyait en Marie qu'une partenaire sexuelle, pas de passion, lorsqu'elle lui a demandé s'il voulait l'épouser, il répondit « pourquoi pas » ; Haroun aimait Meriem, il ne l'a jamais possédée, c'est lui qui la demande en mariage et elle qui refuse. Meursault était indifférent envers sa mère, qu'il laissa mourir seule dans un hospice. La mère de Haroun vit encore et il est toujours resté sous son influence. D'ailleurs, Meursault commence son récit par l'annonce de la mort de sa mère, Haroun commence par dire que la sienne vit encore. Meursault sera condamné à mort pour son crime, Haroun ne sera même pas poursuivi pour le sien, bien que les autorités en aient connaissance (on lui reprochera seulement de ne pas l'avoir commis avant la libération).

Kamel Daoud, par l'intermédiaire de Haroun, va même mettre en doute le crime de Meursault. Le corps criblé de balles de Moussa n'a jamais été retrouvé (emporté par la mer ?). D'ailleurs sa mère n'a, pour cette raison, jamais pu obtenir une pension comme mère d'une victime de la guerre d'indépendance. Sur la fameuse plage, sur le lieu exact du crime, près d'une fontaine, Haroun voit une silhouette là où son frère devait, selon Meursault, être allongé. Il ne s'agit que d'un reflet de lui-même. Meursault n'a-t-il tiré que sur le miroitement de lui-même sur la surface de l'eau ?

Kamel Daoud, dans son Meursault, contre-enquête, ne copie donc pas L'Étranger de Camus. C'est un miroir, mais un miroir déformant. Une autre vérité, celle du parti de la victime (si victime il y a eu, car Kamel Daoud laisse planer le doute sur l'existence de ce frère aîné « mort dans un livre »). Même lors de ses citations, Kamel Daoud modifie au besoin le texte original. Dans le passage où Meursault reçoit dans sa cellule la visite d'un prêtre, Kamel Daoud, dans un semblant de copié/collé, écrit :

Un jour, l'imam (Camus : le prêtre) a essayé de me parler de Dieu…

 en me demandant pourquoi je l'appelais « Monsieur » et non pas « El-Cheikh » (Camus : mon père)

 Je l'ai pris par le col de sa gandoura (Camus : sa soutane).

 

Pour lire ce roman, faut-il avoir lu (ou relu) L'Étranger ? La question reste entière. D'une part, Kamel Daoud en fait dans son œuvre un excellent résumé, mais d'un autre côté, les allusions au roman de Camus sont si nombreuses, qu'il serait peut-être judicieux d'avoir en mémoire l'original. Kamel Daoud ne se limite d'ailleurs pas à L'Étranger, mais puise dans toute l'œuvre de Camus : « malgré l'absurdité de ma condition à pousser un cadavre vers le sommet du mont avant qu'il ne dégringole à nouveau, et cela sans fin » (image du Mythe de Sisyphe). L’inconvénient majeur d'avoir lu L'Étranger juste avant, réside en ce qu'il devient difficile de s'abstraire de l’œuvre de Camus pour se concentrer exclusivement sur celle de Kamel Daoud, qui le mérite pourtant largement.

Olonois85

 

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