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LOL - Les Olonnois Lisent
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2 novembre 2015

Villa des femmes, Charif Majdalani

Villa des femmes, Charif Majdalani, Éditions du Seuil, 279 pages

Villa des femmesÀ Beyrouth, au milieu du siècle dernier, les différents clans se partagent le pouvoir, non pas en harmonie, mais plutôt par intérêt, pour permettre de préserver ou accroître les fortunes. Des alliances et des mariages sont ainsi conclus. Les phratries dirigent le pays.

Noula, le narrateur, est au service de Skandar Hayek, fabricant d'étoffes et pilier du clan Hayek. Comme chauffeur, Noula a l'occasion de recueillir les confidences de son patron. Il connaît aussi l'histoire de la famille de son employeur, comme si c'était la sienne. Le père de Noula qui donna le nom de son patron à son fils, était déjà au service de Noula Hayek, le père de Skandar.

Dans la villa familiale des Hayer, demeure Madeleine, nommée Mado, la sœur de Skandar. Elle aurait dû se marier à un riche planteur libanais de retour du Mexique, mais celui-ci se défila, laissant Mado devenir une vieille fille aigrie. L'adversaire de Mado est Marie, la femme de Skandar, fille du puissant clan des Ghosn. Jeune femme, Marie était amoureuse de Badi' Jheili, mais était destiné à Skandar. Badi', trop peu fortuné, fut écarté par les familles.

Skandar et Marie, qui se résigna à ce mariage, eurent trois enfants : Noula, l’aîné, qui n'aime que faire la fête et les aventures amoureuses scabreuses ; Hareth, le cadet, qui a une passion pour « les encyclopédies, les mappemondes et les livres en français qui encombraient sa chambre et sa tête » [p. 54] ; enfin la très belle Karine, fille adulée par son père et qui fait tourner la tête de beaucoup d'hommes.

Jamilé, la femme de chambre de Marie et qui remplit le rôle de gouvernante, est comme un membre de la famille, au même titre que le narrateur Noula. Celui-ci se sent très attiré par Jamilé, sans cependant parvenir à son but.

Les relations entre ses personnages sont complexes et tendues, à l'image de la société libanaise, mais les conflits sont étouffés dans l'intérêt de tous. La paix est maintenue entre les différentes fractions grâce à d'habiles tractations, d'élections truquées, de pots-de-vin, de règles non-écrites. Les chrétiens (dont fait partie le clan des Hayer), les chiites, les Palestiniens et autres groupes se respectent avec distance et sagesse. Comme les femmes dans la villa. On ne s'aime pas, on se supporte. Cependant, les nouvelles générations n'ont pas cette sagesse des anciens et les problèmes deviennent de plus en plus difficiles à gérer.

Skandar Hayer s'use dans les tractations entre les différents clans. Victime d'une crise cardiaque, c'est son fils aîné Noula qui prend la direction de l'usine de textile, tandis que son frère a déjà entamé une vie d'aventurier et n'envoie que sporadiquement de ses nouvelles. Noula n'a cependant ni le charisme ni les facultés de son père et peu d'années lui suffisent pour ruiner la famille. On attend désespérément le retour de Hareth, le second fils, qui seul peut sauver la famille.

La ruine du clan Hayer coïncide avec le début de conflits de plus en plus violents dans la société libanaise et l'accentue. Les querelles aboutiront à la guerre civile qui embrasa le Liban dans le milieu des années 70.

Pendant cette guerre fratricide ne subsistent dans la villa des Hayer que les femmes et le narrateur Noula, qui fait office d'homme à tout faire, témoin et confident. Comme à l'extérieur, les conflits dans la villa deviennent plus ouverts, principalement entre les deux belles-sœurs, Mado et Marie. Cependant, malgré les bombardements de plus en plus proches, ni le narrateur ni aucune des femmes ne sont prêts à quitter les lieux (l'avis des bonnes n'est pas demandé). On attend toujours le retour de Hareth.

Villa des femmes est principalement une description de la société libanaise dont le clan Hayer est le représentant type. Le conflit armé n'est pas le centre du roman, mais les tensions : celles extérieures et, comme un miroir, celles intérieures à la villa. Toujours pour une question de pouvoir : Mado ou Marie, laquelle se soumettra à l'autre.

Un point remarquable dans cette œuvre de Charif Majdalani, en plus de la description d'une culture qui nous est restée étrangère, est la langue. La narration « orientale » est imagée :

elles avaient les traits fins et en même temps un peu sauvages, comme leur chevelure ample qu'elles attachaient pour les impératifs de leur métier. Et leurs corps étaient pleins de grâce, débordant d'attraits impatients qu'elles tentaient de dissimuler tant bien que mal derrière leurs tabliers. Je me souviens ainsi avoir vu un matin Skandar lui-même s'arrêter sur la terrasse et observer quelque chose avec une attention amusée, une concentration ravie semblable à celle que l'on a devant un tableau. Ce qu'il regardait, je l'avais devant sous les yeux depuis un moment, c'était le spectacle des bonnes assises pour une heure de repos autorisée par Jamilé, au milieu des fleurs, et entourant Karine, tel un harem autour de la sultane. Elles lui refaisaient sa coiffure à la manière de leur village du nord de la Syrie ou de la région de Baalbek, et la fardaient à la façon de leurs tribus kurdes, donnant à la jeune fille l'air d'une reine antique. [p. 55]

Malgré la violence, c'est le tout charme de l'orient qui domine, un parfum des « milles et une nuits » qui flotte dans l'air. Et il reste l'espoir dans le retour de Hareth et du retour de la paix.

olonnois85

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