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LOL - Les Olonnois Lisent
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8 janvier 2016

2084 La fin du monde, Boualem Sansal

2084 La fin du monde, Boualem Sansal, Gallimard, 274 pages

 

2084

Après une guerre dévastatrice avec usage de la bombe atomique, Abi a créé l’Abiland où est vénéré le dieu Yölah dont les commandements sont écrits dans le Gkabul.

Boualem Sansal décrit une dictature entre théocraties, comme en Iran du temps de l'ayatollah Khomeni ou en Afghanistan sous les talibans, oligarchie comme dans les pays communistes dans leurs heures les plus sombres, et monarchie comme en Corée du Nord ou une ploutocratie, ou encore comme actuellement dans les zones sous la coupe de Daech. Le peuple y est confiné dans l'ignorance, la pauvreté et la soumission absolue sous un contrôle total par différents organes de l'autorité.

Dans ce monde terrifiant et apocalyptique, Ati (tous les noms des personnages sont composés de trois lettres), après un séjour dans un sanatorium auquel il survit miraculeusement, commence à douter. Une rencontre avec l'archéologue Nas l’amène à se poser d'autres questions et éveille en lui l'instinct de liberté :

« Il n'empêche, ce que l'un a vu, entrevu, rêvé seulement, un autre, plus tard, ailleurs, le verra, l'entreverra, le pensera » [p. 41].

Peu à peu, Ati comprend la perfidie du monde d'extrême dévotion dans lequel il vit :

« Dans son infinie connaissance de l'artifice, le Système a tôt compris que c'était l'hypocrisie qui faisait le parfait croyant, pas la foi qui par sa nature oppressante traîne le doute dans son sillage, voire la révolte et la folie. Il a aussi compris que la vraie religion ne peut rien être d'autre que la bigoterie bien réglée, érigée en monopole et maintenue par la terreur omniprésente. » [p. 46]

En sentiment de révolte monte en lui :

« Ce que son esprit rejetait n'était pas tant la religion que l'écrasement de l'homme par la religion. » [p. 80]

Des discussions avec son collègue et ami Koa lui permettent de comprendre comment le peuple, en plus de la terreur et l'ignorance, est maintenu dans son état de soumission par la langue nouvelle imposée, l’abilang, qui annihile la faculté de pensée propre :

« On ne savait comment, sinon par l'incantation, la répétition et la privation de l’échange libre entre les gens et les institutions, cette langue créait autour du croyant un champ de forces qui l'isolait du monde, le rendait sourd par principe à tout son qui n'était pas le chant sidéral et envoûtant de l'abilang. » [p. 94]

À cela s'ajoute la terreur aussi bien par l'oppression directe (disparition, torture, exécution publique, dilapidation, etc.) qu'indirecte par une guerre permanente demandant de nombreux sacrifices matériaux et en vie humaine avec un ennemi réel ou créé, car rien de tel qu'un ennemi pour souder un peuple derrière un dictateur :

« Le moyen pour le pouvoir de conserver son absolutisme était de prendre les devants et de créer lui-même cette opposition puis de la faire porter par de véritables opposants, qu'il créerait et formerait au besoin et qu'il occuperait ensuite à se garder de ses propres opposants, des ultras, des dissidents, des lieutenants ambitieux, des héritiers présomptifs pressés d'en finir, qui de partout surgiraient comme par miracle. » [p. 104]

Par ailleurs, Boualem Sansal parsème d'ailleurs son texte de sentences qui valent pour nos sociétés (particulièrement valable pour les États-Unis) : « Qui a une arme finit par l'utiliser. » [p. 112]

Ce roman pourrait être pris pour un mode d'emploi pour dictateur. Le but de Boualem Sansal est cependant la dénonciation de tous les systèmes théocratiques intolérants. Étant lui-même de culture musulmane, en toute logique, il prend ses modèles dans l'univers islamique qu'il connaît sûrement mieux que le chrétien. Ainsi, les lieux de prière sont des mockbas, terme qui sonne comme mosquée, les hommes portent des burnis de couleur verte (couleur de l'Islam), les femmes des burniqabs (burka/niqab). Il faut un certain courage dans notre trouble époque pour écrire un tel texte.

Boualem Sansal n'exerce pourtant pas spécifiquement une critique envers cette religion, mais de manière beaucoup plus générale : « la foi commençait par la peur et se poursuivait dans la soumission, le troupeau devait rester groupé » [p. 104]

On retrouvera aussi des allusions à d'autres traditions (akiri = hara-kiri).

L'imagination de Boualem Sansal lui permet de dépasser ce que l'on trouve habituellement dans ce type de roman récent (p.ex. Corpus delicti de July Stern ou Le rire du grand blessé de Cécile Coulon), l'abilang en étant l'exemple type, et c'est la force de son texte.

Cette imagination semble pourtant venir à bout vers la fin du roman où il semble lui-même perdre le fil de son récit. Peu après la page 200, un très grand nombre de personnages apparaissent qui, en raison de la brièveté des noms de 3 lettres seulement, se distinguent difficilement les uns des autres. On se demandera aussi pourquoi le personnage de Toz se limite, en parlant d'antiquités qu'il collectionne, au XXe siècle. Dans les toutes dernières pages, Boualem Sansal donne l'impression d'être lassé et a hâte de terminer son roman. La rigueur des premiers chapitres fait défaut. Dans l'épilogue, bien que le peuple ne connaisse que la pensée unique rabachée depuis plusieurs générations, une bataille d'opinion entre les dignitaires du régime se fait par voie de presse.

Si l'on ne tient pas compte de ces dernières remarques, dans son ensemble, ce roman a mérité à juste titre le Grand Prix de l’Académie française.

olonnois85

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