Rapatriés, Néhémy Pierre-Dahomey

Rapatriés, Néhémy Pierre-Dahomey, Seuil, 191pages

Rapatriés est un quartier de Port-au-Prince où des petits lopins de terre inféconde ont été attribués à des Haïtiens ayant échoué lors d’une tentative de quitter le pays. Belliqueuse Toussaint, nommée Belli, fait parti de ces infortunés. Après une violente tempête durant laquelle elle perdit son fils, le bateau qui l’emportait vers les États-Unis a été arraisonné par les gardes-côte.

Belli se reconstruit une vie précaire avec l’aide d’un amant, un menuisier ivrogne. Après quelques années, consciente de sa misère, elle prend la tragique décision de laisser adopter ses deux filles Bélial et Luciole qu’elle a mises au monde à Rapatriés. La première grandira en France chez Pauline, ancienne membre d’une ONG qui a œuvré à Haïti, et la seconde au Canada. L’échec pour rejoindre plus tard Bélial conduira Belli à la folie.

Le style de Néhémy Pierre-Dahomey est fort déroutant. À la fois naïf et grandiose, comme le sont ses personnages. Il couvre la misère, bien qu’omniprésente, par un masque d’humour et de simplisme, d’un comique qui ne peut être que grinçant. Rapatriés est une plongée dans une autre culture où se côtoie les religions, du protestantisme sectaire aux rites vaudou, une forme de bon sens populaire que l’on pourrait nommé philosophie, et toujours la misère, la corruption et la violence en toile de fond.

« La poussière faisait des siennes le jour, les moustiques prenaient le relais la nuit. Pour chasser tous les deux, il n’y avait que la pluie. Sauf que la pisse de Dieu, comme chacun le savait, si elle chassait bien les insectes et grains de sable pour trois ou quatre jours, les multipliait pour l’éternité. […] Dans ce contexte de combat quotidien contre les petits êtres, Belli retomba enceinte. Sur ce point, monsieur Sobner n’avait jamais plaisanté. Coq de bonne qualité, il ne ratait jamais son coup. Il lui était difficile d’avoir une maîtresse sans qu’à la longue cela ne se sache. Sœur Mireille lui rappelait souvent que l’Éternel ne parlait pas qu’à lui en recommandant de croître, de remplir et de multiplier la terre. »

Lorsque Bélial (depuis quelques années en France) a ses premières règles, sa mère d’adoption l’instruit ainsi :

« Désormais, ton corps est prêt à procréer, à investir ce lieu qui nous est propre : porter et laisser passer la vie. Elle passe par nos entrailles, la vie. Ton sang qui coule te rappellera que le sang peut couler. Maintenant, tu devras choisir ; soit faire naître, soit de ne pas le faire. Mais l’affaire est là, il faut faire avec.

– Et les hommes, donc ?

– Il leur faut tuer ou blesser quand leur manque le sang qui coule ! Tout le secret est là : la nature fait couler le sang des femmes tandis que les hommes s’en chargent pour leurs congénères. »

Néhémy Pierre-Dahomey réussit son premier roman, dur, cru, sincère, mais ni simple ni superficiel. Il ne manque qu’un peu de structure.

Olonois85