Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LOL - Les Olonnois Lisent
LOL - Les Olonnois Lisent
Derniers commentaires
15 septembre 2014

A l'origine notre père obscur, Kaoutar Harchi

A l'origine notre père obscur, Kaoutar Harchi, Éditions Actes Sud, 164 p.

HarchiLe roman se déroule dans une contrée où la famille et les traditions sont plus fortes que tout. La narratrice est née dans une maison de femmes où sa mère – elle ne dit pas ma mère, mais un très distancié "la Mère" – a été placée par le Père lorsque la famille de celui-ci a diffamé sa jeune épouse.

Combien de femmes, la Mère et moi, avons-nous vues conduites ici par un époux, par un frère, par un beau-frère, par un fils puis, quelques années plus tard, être autorisées à rentrer chez elles ? (p. 39)

Il règne dans cette maison de femmes rejetées une très forte solidarité, mais aussi la promiscuité, la pauvreté, la jalousie, les intrigues :

tandis que je quitte la Mère pour rejoindre la chambre sans fenêtre, je m'arrête un instant, la main posée sur la rampe de l'escalier et devine, sous leur masque de victime, le véritable visage de ces femmes. Ce visage de la complicité, de la connivence et de la confusion, aussi, puisque ces femmes sont, à cette époque, mes bourreaux. Celles qui, vous savez, maintiennent vivante la tradition avec un tel engagement, une telle fougue, qu'on les croirait être des hommes. (p. 41)

On se remémorera cette phrase de Sartre dans Huis Clos « L'enfer, c'est les autres ». La narratrice est cependant avant tout obsédée par sa relation avec sa mère et ce qu'elle ressent de celle-ci comme un manque d'amour, bien qu'elles soient fortement dépendantes l'une de l'autre dans une complicité bien au-delà de l'attachement mère-fille :

Et me revient en plein visage, cette image de ma relation avec la Mère. Une relation affaiblie par ces mots qu'elle n'a jamais su me dire, qu'elle sait pourtant dire aux autres, avec une si grande douceur, une telle bonté. Des mots que j'ai cessé d'attendre pour cesser de souffrir. Comme ces gestes, aussi, ces attentions, ces regards que je ne recherche plus ni ne demande plus. Par fierté. Par orgueil. Par peur, surtout, de revivre une énième expérience de désamour dont je sortirais, encore, blessée, abattue, car la Mère a ce pouvoir, le pouvoir de tuer la petite fille qui survit en moi. (p. 71)

On notera en passant le style extrêmement haché de Kaoutar Harchi. Elle brise la fluidité de la lecture, alourdit son texte, retient son auditeur sur celui-ci, le contraint à une relecture. Elle l'emprisonne dans cette sombre, obscure histoire aux nombreux détours. C'est ainsi par une métaphore qu'elle annonce la mort de la Mère :

Que ce quelqu'un qui est la Mère a désormais besoin qu'on fasse quelque chose d'elle. Je préfère dire quelque chose pour elle. Qui est peut-être remonter le drap sur son visage et c'est déjà comprendre que ce drap servira à faire disparaître la Mère et que la Mère, sous ce drap, n'étouffera pas, ne se débattra pas, que la Mère, sous ce drap, demeurera calme, immobile, que la Mère pourrait être, sous ce drap, durant des heures, durant des jours, sans se plaindre.

Puisque ce drap est sa place. Et c'est déjà de trop. (p. 74)

Kaoutar Harchi sait avec excellence nous plonger aussi dans l'ambiance et l'humeur de la narratrice, par exemple, après avoir enseveli la Mère, lors de son voyage long et ennuyeux pour retrouver le Père :

Et l'autocar, lentement, s'est ébranlé.

Un après-midi entier à avaler les kilomètres. Mais s'il n'y avait eu que cette distance que n'importe quel moteur vrombissant suffit à réduire, mon ventre n'aurait pas été si noué, le rythme de mon pouls si irrégulier, mes jambes prêtes à m'abandonner, chaque fois je me demande, la tête reposant contre la vitre froide, encore combien de poteaux électriques, combien de chiens errants, combien d'hommes et de femmes, de champs labourés, combien de vielles bâtisses à moitié détruites, combien de ralentissements et d'accélérations, avant de pouvoir frapper à la porte de la maison du Père. (p. 86)

Kaoutar Harchi malmène ses lecteurs autant que ses personnages. Elle brise son texte, parce qu'ils sont brisés. On s'arrête, sur des phrases que l'on ne comprend pas :

Tant, au fond, il lui a toujours suffi d'être le fils de celui qui est son père quand moi.

Puis le texte continu.

Quand moi, au contraire, il m'a fallu, enfant, apprendre à ne plus l'être et devenir mon propre parent. (p. 122)

On reste pris jusqu'à la fin de ce roman obscur, ce texte obscur, ces personnages obscurs. Éblouissant.

Olonnois85

Kaoutar Harchi - A l'origine notre père obscur

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
2 abonnés
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 27 404
Archives
Publicité