Âme brisée, Akira Mizubayashi
Âme brisée, Akira Mizubayashi, Gallimard, 239 pages
En 1938, en plein nationalisme exacerbé, pendant que le Japon est en guerre la Chine, le japonais Yu Mizusawa forme avec trois Chinois un quatuor à corde. Pendant une répétition de Rosamunde de Schubert au Centre Culturel de Tokyo, ils sont interrompus par l’irruption de militaire. Yu a eu le temps de cacher son fils Rei qui lisait dans la pièce. Depuis sa cachette, l’enfant de onze ans voit comment le caporal commandant les soldats insulte son père et brise son violon. L’arrivée d’un lieutenant met une fin provisoire à cette violence. Après avoir questionné Yu sur le morceau qu’il jouait, il demande de jouer pour lui. Yu joue la Gavotte en rondeau de Bach. Yu et les trois autres musiciens seront malgré tout emmenés au Quartier Général. Avant de quitter la pièce, une fois seul, le lieutenant s’apercevra de la présence de Rei dans sa cachette et lui donnera le violon brisé de son père, brisé jusqu’à l’âme [pièce essentielle placée à l’intérieur de l’instrument entre la table et le fond sans être fixée, elle transmet les vibrations des cordes à l’ensemble de la caisse de résonance]. Rei retiendra le nom de celui aimait la musique et qui ne l’a pas dénoncé : Kurokami. Il ne reverra plus jamais son père. Recueilli puis adopté par un ami français de son père, il prend le nom de Jacques, deviendra luthier en France tout en gardant le souvenir de ce douloureux épisode. Devenu vieil homme, le hasard le lui fera revivre de façon intense lors de la visite de la violoniste Midori Yamazaki.
Le texte de Akira Mizubayashi est touchant et parfois simple, comme ses personnages, ce qui l’amène parfois à des maladresses : [Rei s’était accroupi devant un chien qui le suivait] « ... Rei osa lui tendre la main. Le chien en fit autant... ». L’auteur se reprend deux lignes plus tard : « Rei garda longtemps dans la main la patte blanche du shiba. » Maladresse aussi lorsque Rei se décide à écrire à la violoniste. Il n’a « pas trop de mal à rédiger sa lettre en japonais », bien que « se mouvoir en japonais (…) lui demandait un effort particulier ». Akira Mizubayashi donne l’impression d’avoir autant de difficulté à s’exprimer avec précision en français que son personnage, ce qui, étonnement, donne un charme exotique à son texte.
Dans ce roman, la musique joue naturellement un rôle central au point que l’auteur divise son œuvre telles les phases d’une partition (Allegro ma non troppo, Andante, Menuetto : Allegretto, Allegro moderato). La lecture et plus généralement la littérature prennent également une place importante.
Les ravages du nationalisme et de la guerre sont des thèmes qui préoccupent beaucoup l’auteur et restent d’une brisante actualité. « Chacun devrait pourtant se définir d’abord et avant tout comme un individu au-dessus de toute appartenance. » affirme Lin Yanfen, l’altiste du quatuor.
À côté des arts musicaux et littéraires, le thème de Akira Mizubayashi est de le souvenir du drame que vécu Rei. Peut-être parce qu’il vit dans une culture qui n’est pas celle de son père disparu, celui-ci le poursuit tout au long de sa vie.
Âme brisée est à recommander particulièrement aux mélomanes, mais aussi aux lecteurs lassés de sujet trop couru (viols et séductions à toutes les sauces, avec ou sans Consentement dans une maison close berlinoise ou ailleurs, sur fond #mitoo).
olonnois85