Envoyée spéciale, Jean Echenoz

Envoyée spéciale, Jean Echenoz, Minuit, 313 pages

Un général des services secrets français proche de la retraite ressent le besoin impérieux de démontrer une nouvelle fois son utilité et son maintien à son poste. Il a une idée : déstabiliser la Corée du Nord.

Pour cela, il charge l'un de ses collaborateurs de trouver une femme idéale, donc qui ne serait pas de leur milieu, sans antécédent, jolie, sans attache fixe, etc., qu'il infiltrerait auprès d'un dignitaire de la nomenklatura.

Une fois cette perle rare trouvée, elle est enlevée et isolée quelques moisdans un coin reculé de la Creuse, avant d'être préparée pour sa mission d'envoyée spéciale.

Sans vouloir vexer qui que ce soit, disons que les kidnappeurs et gardiens ne sont pas de grands intellectuels, ce qui n'est pas très grave pour cette histoire assez farfelue.

Jean Echenoz la raconte comme si elle était vraie et qu'il n'en était qu'un témoin qui en ferait le récit et qui, parfois, se permettrait de donner son avis personnel :

... il rafle une Pall Mall — on se demande à ce propos ce qu'ils deviennent chez Pall Mall, à part Tausk il y a bien longtemps qu'on n'a pas vu quelqu'un fumer ça.[p. 67]

Ce n'est pas lui qui invente l'histoire, il la subit et s'en tient à certaines règles indépendamment de sa volonté :

Nous apprenons ainsi que le Néo-Guinéen s'appelle en vérité Lessertisseur. Ce n'est pas sans regret que nous abandonnons notre première désignation, nous aimions bien l'appeler comme ça, mais nous nous devons de respecter l'identité des gens.[p. 67]

Jean Echenoz use à plein de digression et s'en amuse, se moque de son lecteur :

Nous pensions qu'il n'était pas mauvais que ce phénomène zoologique [phéromone commune aux éléphants et papillons], trop peu connu du grand public. Certes, le public a le droit d'objecter qu'une telle information ne semble être qu'une digression, sorte d'amusement didactique permettant d'achever un chapitre en douceur sans aucun lien avec notre récit. À cette réserve, bien entendu recevable, nous répondrons comme tout à l'heure : pour le moment. [p. 111]

Son sens de la dérision donne des effets comiques inattendus lorsqu'il décrit les statues de feu dirigeant nord-coréen déjà bien ridicule :

Couvert d'un long manteau, le généralissime Kimm Il-sung, notamment qualifié de Soleil de la nation, Héros du travail, Professeur de l'humanité tout entière et leader éternel, tendait son bras droit vers l'avenir radieux, le passé magnifique, la voie à suivre ou les trois en même temps, à moins qu'il ne hélât un autobus. [p. 221]

Lorsque le cours de son histoire ne l'arrange pas, qu'il la sente sur une fausse piste, Jean Echenoz reprend son rôle de rapporteur et s'en tire par une pirouette :

Nous ne prendrons pas la peine de décrire Pak Dong-bok : il ne va jouer qu'un rôle mineur et nous n'avons pas que ça à faire. [p. 279]

On ressent que Jean Echenoz s'est beaucoup amusé à écrire ce récit et il nous fait bien partager son amusement. Un bon roman désopilant, bien utile par ces temps moroses

 olonnois85