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LOL - Les Olonnois Lisent
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8 mai 2015

Héloïse, ouille !, Jean Teulé

Héloïse, ouille !, Jean Teulé, Julliard, 332 p.

 

HéloïseUn quarantenaire de grande réputation séduit une adolescente qui s'éprend de lui. Il abuse d'elle, lui fait un enfant. L'histoire ne passe pas inaperçue et il est puni pour ce détournement de cette mineure dont on lui avait confié l'éducation. Tandis qu'elle reste amoureuse, il renie la relation sexuelle qu'il a eue avec elle.

L'histoire est simple, classique et, hélas, encore très actuelle. Seulement elle se déroule au XII-ième siècle et il a des aspirations de carrière dans l'église. On parle de lui rien de moins que comme pape potentiel. Il s'agit de Pierre Abélard et d'Héloïse d'Argenteuil, l'un des couples les plus célèbres de l'histoire.

Jean Teulé nous en donne ici sa version de leur histoire, une version épurée de toute niaiserie, de tout romantisme, une version très crue. Les premiers chapitres ne sont que récits pornographiques digne d'un sex-shop et rapidement fort ennuyeux, comme ce genre de littérature l'est souvent. Ce n'est qu'une fois cette phase close, et pour cause, une fois qu'Abélard sera émasculé, que le texte de Jean Teulé redevient intéressant, redevient humain. On lui trouvera même des accents lyriques qu'on ne lui connaissait pas :

Elle s'efforce de sourire pour dédramatiser, de faire bonne figure, mais ce qu'elle découvre !… Nu à même le drap devenu écarlate sur lequel s'est déroulé l'attentat, un triste corps parmi la douleur, le sang, et la sanie, combien faible et combien puni avec un gros tas d'étoupe entouré d'un pansement entre les jambes. Visage si pâle, il lui tend une main faible dont elle approche ses jolis doigts qu'il observe [p. 141]

Le célèbre rhétoricien sait qu'il sera la risée de toute la société. Jean Teulé lui-même ne manque pas de se moquer du « célébrissime philosophe devenu chapon pour dîner de Noël » [p. 140]. Et lorsque Abélard fait un reproche à Héloïse :

Oh, tu égares tout. Tu ne sais jamais où tu ranges tes affaires.

Oui hé bien tu vois, il n'y a pas que moi qui perds les choses sauf que je finis toujours par les retrouver tandis que toi, tes… ça m'étonnerait que tu les retrouves un jour ! [p. 141]

En dehors de cet humour constant et typique de Jean Teulé, de la version pornographique du début de la relation entre Abélard et Héloïse, il dresse un portrait d'Abélard différent de ce que l'on connaît.

Héloïse reste dans les mains de Teulé un personnage de vertu. Elle reste amoureuse, sacrifie son avenir pour lui. Elle refuse dans un premier temps sa demande en mariage pour ne pas entraver sa carrière et lui laisser sa liberté. Mais Abélard a conclu à son insu un marché avec Fulbert, l'oncle et tuteur d'Héloïse : l'affaire restera secrète s'il épouse Héloïse. Elle le prévient bien qu'il s'agisse d'un marché de dupe, elle cède devant son insistance. Lorsque Abélard est émasculé, sa carrière brisée, pour fuir les humiliations inévitables, il ne voie qu'une issue, devenir moine. Puisque marié (mariage qui ne peut être résilié puisque consommé, comme l'atteste la naissance d'un enfant), il ne peut le devenir que si elle aussi entre dans les ordres. Élevée dans un couvent, elle sait les privations de liberté qui l'attendent. Et elle n'a pas la foi. Elle lui cédera pourtant, puisque tel est son vœu.

De son côté, Abélard ne fera aucun sacrifice, ne donnera rien. On l'a certes privé de ses symboles de virilité, mais ce ne fut pas de son plein gré. Bien qu'il la sache enfermée dans l'abbaye d'Argenteuil (où elle deviendra prieure, pas pour sa foi, mais pour son engagement envers ses congénères), il ne lui fait parvenir aucune nouvelle. Il se laisse de nouveau vénérer par ses étudiants qui façonnent pour lui le refuge de Paraclet (près de Quincey en Champagne), qu'il ne quittera que forcé pour devenir abbé à Saint-Gildas-de-Rhuis en Bretagne (bien qu'il ne comprenne aucun mot de breton). C'est Héloïse qui reprendra contact avec lui et entretiendra une correspondance.

Si Héloïse reste amoureuse et l'écrit, Abélard se réfugie derrière le paravent de la religion, renie sa concupiscence et exhorte celle qui est encore sa femme de faire de même. Lorsque leur chemin se croise à nouveau, à Paraclet qu'il a délaissé et où elle saura faire construire une nouvelle abbaye dont elle sera mère supérieure, il fait tout pour n'avoir aucun contact physique avec elle. Héloïse est pourtant consciente du changement de son mari et lui écrira : « tu t'es lié à moi plus par rapacité que par affection, par ardeur sensuelle plus que par amour. Et que donc, lorsque tes désirs s'écroulèrent par mutilation, toutes les attentions qu'ils suscitaient tombèrent également » [p. 263].

Jean Teulé nous dépeint aussi un Pierre Abélard très éloigné de sa réputation de dialecticien. À aucun moment le « maître d'école adulé par tous les étudiants d'Europe » ne fait preuve de ses facultés rhétoriques ou philosophiques. Lors du concile de Soissons en 1121 où il doit être jugé pour hérésie pour des écrits critiques, pour toute défense devant ses juges, après un peu de réticence, Jean Teulé le laisse « lire un truc qu'ânonnent machinalement les enfants de chœur en remuant les burettes... » [p. 176].

C'est dans les écrits d'Héloïse que l'on retrouve la philosophie d'Abélard : « Moi qui ai commis beaucoup de péchés en ta compagnie, je suis bien innocente, tu le sais, car ce n'est pas dans l'acte que la culpabilité trouve sa place, mais dans les intentions » [p. 262]. Rappelons que la culpabilité de l'intention de l'acte plus que l'acte lui-même est le fondement de la justice des pays de démocratie avancée prévaut de nos jours.

En dehors de ce côté pornographique que l'on trouvera avec raison lassant, Héloïse, ouille ! offre donc une vision particulière de la relation de ces amants célèbres. La très sage Héloïse chantée par Brassens trouve grâce auprès de Jean Teulé. Il admire assurément la fidèle amante. Les descriptions de Pierre Abélard sont beaucoup moins indulgentes, de là à dire que Jean Teulé n'aime pas le théologien-philosophe est un pas que chaque lecteur peut décider de franchir. Chacune des personnes ayant lu ce roman y trouvera sans contestation sujet à discussions. Adorer ou abhorrer ?

olonnois85

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